Monument unique en Vendée, la fontaine Renaissance du parc de Chassenon s’écroule en décembre 1999 sous le poids d’un cèdre arraché par les vents. Près de vingt ans plus tard, de nouveaux propriétaires motivés en lancent le remontage. Les choix de restauration effectués doivent rendre à la fontaine sa lisibilité sans effacer cependant les traces de son histoire mouvementée.
Du parc de la Fosse au dépôt lapidaire de la Vendée
La fontaine de la Fosse tire son nom de la seigneurie où elle fut originellement installée, à Mouilleron-en-Pareds (85). Son commanditaire Jacques Le Venier fait appel au sculpteur fontenaisien Léonard de la Réau qui œuvre au même moment sur plusieurs monuments de Fontenay-le-Comte. La fontaine reste trois cents ans à la Fosse avant que la famille Moller, propriétaire, ne décide en 1856 de la déplacer dans le parc du château de Chassenon.
Elle est à cette occasion restaurée par Octave de Rochebrune, dessinateur et graveur vendéen. Haute de six mètres et demi, la fontaine est composée de deux niveaux d’élévation au vocabulaire d’inspiration antiquisante, surmontés d’un dôme à écailles, lui-même coiffé, du moins à partir du XIXe siècle, d’un lanternon. Au regard de son importance pour l’illustration de l’art de la Renaissance en Vendée, la fontaine est classée au titre des monuments historiques en 1956.
Au cours de la tempête de 1999, un cèdre géant s’abat sur la fontaine et la réduit en morceaux. Les propriétaires font appel au conservateur des antiquités et objets d’art, à l’architecte des bâtiments de France et aux services des monuments historiques : dans l’attente d’une restauration, les pierres de la fontaine seront conservées dans le dépôt lapidaire du conseil général. Jean Vincent, archéologue, inventorie à cette occasion les pierres et constate leur état (inacceptable, passable, acceptable, intact) : les pierres sont classées par niveau d’élévation et marquées d’un numéro correspondant à leur emplacement vraisemblable, avant d’être rangées sur palette.
Un projet d’anastylose
Roderic et Elisabeth van Praet d’Amerloo, nouveaux propriétaires du château de Chassenon et de son parc, ayant appris l’existence d’une ancienne fontaine, contactent la DRAC en 2016 pour faire part de leur désir de voir le monument revenir à Chassenon. Ils proposent un nouvel emplacement pour la fontaine, qu’ils souhaitent rendre accessible au public tout en préservant leur intimité, plus éloigné en outre de l’orée du bois.
Les Van Praet recrutent en 2016 Patricia Jaunet, architecte du patrimoine, dont l’étude préalable conclut à la faisabilité du remontage, 60% des pierres conservées étant réutilisables. Les discussions commencent alors, entre propriétaires maîtres d’ouvrage, maître d’œuvre, DRAC et Inspection générale, sur les modalités de ce remontage et le parti de restauration à adopter. L’inspection est intervenue bien en amont du chantier, en accompagnement de la DRAC, afin de discuter des modalités d’élaboration du projet et des techniques de remontage envisagées, en repartant de la définition de l’anastylose, soit le « rétablissement ou relèvement » d’un monument avec ses matériaux et ses techniques de construction, qui n’interdit pas l’emploi discret de matériaux neufs quand la nécessité l’exige. Dans le cas de la fontaine de la Fosse, il a semblé que devait prévaloir « la perception d’un ensemble lisible dans son unité », justifiant le recours à une pierre non seulement compatible en termes de conservation avec le calcaire de la Fontaine mais aussi en termes esthétiques (aspect, couleur, etc.). Conformément aux principes de conservation-restauration, l’intervention devait rester lisible, à la fois par le degré de précision du rapport de restauration et permise par une observation fine des élévations.
Le parti pris du remontage de la fontaine s’est alors appuyé sur les principes de la Charte de Venise de 1964, la « Conservation et la Restauration du monument visant à sauvegarder tout autant l’œuvre d’art que le témoin d’histoire ». Compte tenu de son vécu, de la valeur archéologique et architecturale, de la qualité de taille des sculptures et modénatures, il était important de révéler l’ouvrage et son authenticité par un remontage minutieux en conservant un maximum de pierres existantes tant au niveau des parements droits, moulurés que sculptés. L’état du monument au XIXe siècle, après sa restauration par Rochebrune, a logiquement été favorisé. L’ensemble des éléments récupérés et repérés nous a permis un remontage à l’identique sans extrapolation.
L’importance du chantier
Devant ce chantier d’ampleur et de précision, il paraissait plus qu’évident de constituer dans l’appel d’offres une équipe qualifiée de tailleurs de pierre, restaurateur de sculpture, et sculpteur avec de hautes références en la matière, compte tenu du sujet. L’équipe, composée d’un sculpteur M. Kocher, d’un restaurateur de sculpture, M. Brunner, de tailleurs de pierre et de maçons de entreprise Benaiteau, a été invitée dès le démarrage du chantier pour établir le protocole d’intervention : l’expérience et les connaissances techniques de cette équipe pluridisciplinaire ont été précieuses tout au long du chantier.
Devant la logistique et le souhait de remonter à blanc chaque niveau, le chantier s’est alors décomposé en deux phases et a débuté dans l’atelier de l’entreprise Benaiteau, en remontant le niveau 1 jusqu’au ressaut godronné. Puis, ce premier niveau a été transporté sur le terrain pour être remonté pendant que le second niveau jusqu’au dôme se remontait à l’atelier.
Cette phase chantier s’est avérée cruciale : le remontage à blanc a en effet permis, au gré des manipulations, de retrouver et de réutiliser nombre de pierres non identifiées jusque-là. Ces différentes étapes ont permis de minimiser le cubage de pierres neuves, de réaliser un maximum de greffes ou bouchons dans les pierres anciennes.
Les ouvrages sculptés intacts, sur une pierre monolithe fracturée et/ou explosée, ont été extraits pour être incrustés dans une pierre neuve, l’essentiel des sculptures étant conservé et consolidé par collage et goujonnage ou greffe au contact.
Les pierres moulurées brisées, et dont certains angles avaient disparu, ont été réassemblées par collage et goujonnage.
Les anciennes greffes ou bouchons existants ont été pour certains réintégrés par collage en conservant les adaptations du XIXe siècle, liées au remontage ou d’autres restaurations, dont la date nous était inconnue, permettant alors de conserver les traces de l’histoire.
Les corniches saillantes, dont un grand nombre de bouchons avaient été réalisés lors d’une restauration antérieure, ont été remplacées en recherchant de la profondeur dans les bouchons ou greffe pour assurer l’étanchéité et la pérennité de l’ouvrage. La pierre des bouchons a été alors extraite des pierres existantes (non réutilisables dans leur entier) afin de conserver la même nature du matériau au contact. remplacer entièrement la pierre dont la nature restait à déterminer.
Les pierres explosées/éclatées, nécessaires à la lisibilité du monument dans son ensemble, pour des raisons techniques et structurelles ont été intégralement restituées. Les pierres éclatées et lisibles, dont la capacité structurelle est vérifiée, ont été conservées. La pierre de substitution fut une roche calcaire du jurassique moyen de la région de Poitiers de type Lavoux à grain fin jaune, en substitution à celle de Fontenay dont la carrière n’existe plus.
Pourquoi et comment combler la lacune ?
Les éléments ou parties d’éléments manquants devant assurer une fonction structurelle ou offrant des zones de faiblesse exposées aux éléments ont été remplacés à neuf. Cependant, dans l’objectif de conserver un maximum de matière d’origine, nous avons examiné chaque élément en nous posant la question de sa conservation. Certains d’entre eux étaient très fragmentés, un même élément pouvant être concerné par plusieurs de ces problématiques. Afin de les rétablir dans leur configuration, plusieurs techniques ont été utilisées : le collage, la greffe au contact, le goujonnage, le ragréage.
L’objectif final était de conserver la « perception d’un ensemble lisible ». Nous avons pris le parti de limiter volontairement les restitutions de modénature afin de seulement retendre les lignes de lecture de l’architecture. Les petites incohérences liées au précédent remontage comme des défauts d’alignement ont été conservés. Les décisions se sont affinées de manière collégiale après un premier démontage de l’échafaudage pour une perception d’ensemble. Les propriétaires sont attachés à l’histoire de la fontaine et de ses vicissitudes. Le dialogue fut donc facile entre les partenaires.
Conclusion
Les travaux sont désormais terminés ; un travail de patine, en attendant l’œuvre du temps, a permis d’atténuer la différence entre pierres anciennes et pierres neuves, sans la faire disparaître pour autant. Il est important de souligner la bonne entente qui a régné tout au long du projet entre les acteurs, propriétaires, architecte, entreprises et DRAC, et l’esprit de collégialité qui a accompagné toute cette restauration.
Le retour de la fontaine a comblé une absence dans le parc de Chassenon. Plus de 60% de pierres anciennes ont finalement été réutilisées pour ce relèvement. Une fois les lignes du monument rétablies, les dernières lacunes se sont avérées peu gênantes : au contraire, même abîmées, les parties les plus ouvragées – chapiteaux des pilastres et clefs pendantes – n’ont été complétées d’aucune manière, la qualité de la sculpture se suffisant à elle-même. L’ensemble des pierres non reposées sera conservé sous forme de petit dépôt lapidaire dans l’orangerie, non loin du monument.
Le projet de remontage de la fontaine ne pouvait enfin faire abstraction du traitement des abords ; en accord avec les parties, un projet de jardin contemporain, tenant compte des points de vue et perspectives, a été dessiné par un paysagiste et est actuellement en cours de réalisation.